domingo, 4 de novembro de 2012

JEAN TARDIEU ET ANITA DE CARO








JEAN TARDIEU

Pour Béchir Ben Aissa
Jean Tardieu s’intéresse, à la fois, aux grands maîtres du passé et à ses contemporains, bien souvent ses amis comme Pol Bury, Jean Bazaine, Max Ernst ou Hans Hartung et dont il commente ou transpose les œuvres et avec lesquels il commet non seulement des livres, mais encore des œuvres d’un style plus inattendu comme la Rotonde du Palais Bourbon, réalisée avec Pierre Alechinsky. Si les tableaux ont été à la source de son écriture poétique, celle-ci, à son tour, est à l’origine d’œuvres plastiques qui lui répondent. L’œuvre effectuée dans ce domaine s’inscrit dans le sillage d’une démarche commune à nombre d’auteurs du XIXème et XX e siècle.
Si le nom du tableau qui inspire «les poèmes pour voir et revoir (Grandes pierres friables : sur un tableau d’Anita De Caro)» n’est pas mentionné, la relation intersémiotique devient, évidemment, plus complexe. C’est au lecteur d’aller explorer cette fois-ci l’œuvre d’Anita De Caro pour espérer tenir le fil ombilical. Et puis, le poème peut ne pas porter sur un seul tableau. Le poète a été en contact avec les artistes et les poètes associés à «la deuxième École de Paris» tels que Bazaine, Manessier, André Frènaud et Vieira da Silva qui a également fréquenté «l’Atelier 17». Le monde d’Anita de Caro est, semble-t-il, un monde gai. Ses «Villes», ses figures humaines, ses «cosmogonies» oscillent entre figuratif et abstrait. Elle a , en outre, effectué des recherches picturales sur le thème mallarméen : « Un coup de dé / jamais n’abolira le hasard » .Jean Tardieu caractérise l’œuvre d’Anita de Caro comme «la synthèse entre ce qui parle à son esprit et ce qui plaît à sa vision» . Le jeu «intersémiotique» est rarement duel mais s’élabore dans une optique intertextuelle, triangulaire ou, plurielle.
«Les passerelles de Babylone»(1969) est la réécriture poétique d’un texte sur la peinture de Vieira Da Silva écrit en 1960. C’est un tableau intitulé «Jardins suspendus» qui serait à l’origine de ce poème. Il faut rappeler qu’Edmond Jabès a également produit un texte à propos de ce même tableau.
Une dynamique «transtextuelle»,sollicitant les différents systèmes sémiotiques et mettant à l’épreuve les compétences culturelles du lecteur transforme ces œuvres implicitement ou explicitement citées en «passerelles de Babylone». Ainsi, chaque œuvre est une passerelle en soi, un lieu de transit vers l’autre, qui autorise à franchir portes et murailles et à s’affranchir de la pesanteur. Titre évocateur également des passerelles à établir entre la réalité visible, un peu trop visible, un peu trop connue, ou, supposée connue, et celle qui ,invisible, ne s’accommode ni des limites ,ni des abris, ni des portes fermées. La passerelle est enfin cet intervalle, spatial et temporel, situé sur le seuil, dans l’entre-deux, à l’extrémité des échafaudages, au-delà des saisons . Une passerelle est, dans le domaine de l'architecture, un passage en hauteur, ne touchant pas
le sol, entre deux bâtiments. Dans le poème de Tardieu, la passerelle est le support d’une traversée exemplaire, ascendante, spirituelle : «Qui donc, ayant franchi le haut portail et se tenant fasciné sur le seuil, /songerait à rentrer dans ses limites? Qui donc, /ayant dépassé l’éblouissement de l’origine, /(…)/songerait à revenir de ce coté-ci ?(…)/De haut, mais sans proie et sans haine, je contemple/(…) les Babylone qui nous viennent des limbes/.». Ce que semble décrire Tardieu est une élévation, un envol vers un lieu autre, « là ou rien n’arrête le regard,/au-dessus des ponts qui, un jour, viendront de tous les cotés,/remplacer l’obstacle et la séparation/par l’intervalle et par la rencontre. » . L’intervalle, le passage entre deux lieux, deux moments, deux figures, deux mots ; il est ce qui donne sens à l’association (musicale, picturale, poétique et autre). L'inconnu, l'obscur, le divin ou l'inconscient peuvent surgir ainsi au gré de quelque intervalle. Le propre de l’intervalle, c’est sa transitivité. Pour Tardieu, l’intervalle mène à la rencontre. La tour de Babel ou de Babylone était, selon «La Genèse (11: 1-9)», une tour que souhaitaient construire les hommes pour atteindre le ciel.
C’est la porte du ciel. Elle était construite sur une faille - Shinéar- dit la Bible, faille qui met en relation, pour les Anciens, deux mondes : celui des hommes et celui des dieux, «Les passerelles de Babylone» ont-elles, chez Tardieu, cette vocation originelle de nous donner à voir «le divin» ? La dernière strophe du poème marque un «retrait» significatif à l’échelle métrique. La parole exubérante et opaque tout au long des trois strophes se retire et le vers libre frôle, dans un decrescendo syllabique, le silence absolu : « sans armes/sinon/le sourire/qui attend, /qui mesure/et dit:/Je sais. /.» (p.973). "

Extrait du livre « Les Inflexions Mystiques de la Poesie Agnostique de Jean Tardieu », par Béchir Ben Aissa, Décembre 2011

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